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N° 808 - Chèvre [ZODIA] par Berek

La silhouette bourrue mais l'air affable, monsieur Seguin entre chez le quincaillier.

- Monsieur Seguin ! Comment allez-vous ?
- Oh, ben, ça peut aller… Là, je viens d’acheter un nouveau champ, v’savez ?
- Ah oui, bien sûr, j’ai entendu ça, oui. Le champ du père Raspinasse ?
- C’est ça oui ! Bah les nouvelles vont vite, dites donc…

Comme à son habitude, monsieur Seguin commence à tripoter tout ce qui se trouve à proximité du comptoir. Le vendeur récupère donc le sécateur pour le reposer à sa place.

- Et vous en êtes content de ce champ ?
- Ah, ça, pour un beau champ, c’est un beau champ. Tout bien rectangulaire, comme je les aime. Mais c’qui m’embête, vous comprenez bien, c’est le voisinage…
- Ah !

Monsieur Seguin s'apprête à dérouler un tuyau d'arrosage pour en vérifier la solidité, mais le vendeur l'en détourne d'une main amicale sur l'épaule.

- Bah oui, déjà le père Raspinasse, c’t’un sacré grippe-sou. J’vous dis pas à quel prix, j’lai eu, mon champ. Et c’est qu’il a fallu le mesurer devant huissier, hein : 47,22 m de long ! Mais le fils Raspinasse, qu’a encore tous les champs autour du mien, l’est encore pire que son père !
- Pensez, on l’connaît bien par ici !
- Ouais. M’étonne pas ! Pensez qu’il m’a même déjà dit qu’il était hors de question que les animaux de mon champ empiètent sur les siens !

C'est de justesse que le vendeur rattrape les râteaux que monsieur Seguin a failli renverser en voulant regarder celui du dessous.

- Faut faire attention, avec lui ! Il est bien capable de vous emmener au tribunal !
- Ben je sais bien, ça. C’est d’ailleurs pour ça que je suis ici. Voila : je vais installer ma chèvre dans mon nouveau champ. Mais comme je veux pas avoir d’ennuis avec le fils Raspinasse, j’viens vous acheter de la bonne clôture et des bons piquets pour que ma chèvre, elle reste bien dans mon champ. Donnez-moi les prix, je demanderai à Mathilde qu’elle me calcule tout ça.

Le vendeur repose les seaux avec les seaux et prend un air contrit.

- Ah. C’est que… Ben figurez-vous qu’on n’a plus d’grillage ! Et notre grossiste, il en a plus non plus ! Rupture de stock, qu’y m’a dit !
- Oh, mais c’est pas Dieu possible ! Je peux pas la mettre ailleurs, moi, ma chèvre ! Ah ben j’suis bien, tiens. Vous avez de la corde quand même ? J’peux mettre un piquet au milieu de mon champ et attacher la chèvre avec un collier et une corde. Faut que je pense à prendre 30 cm de corde supplémentaire, pour faire les deux nœuds, un à chaque bout, tiens.

Le vendeur ré-enroule la corde que monsieur Seguin a déroulé de son enrouleur pour voir si la qualité était la même sur toute la longueur.

- Oui, oui, j’ai tout ça. Tenez : comme ça vous met dans l’embarras, c’te rupture de stock, je vous fais un prix : 7,65 euros le piquet avec attache, 4,12 euros le mètre de corde (et je vends que des mètres entiers), 6,27 euros l’anneau en fer et je vous offre le collier équipé d’un anneau pour mettre au cou de votre chèvre ! Ah, sans la TVA à 19,6, sinon, j’m’y retrouve pas, moi.
- Ah ben, merci, c’est ben gentil. Mais c’qu’est embêtant, c’est que ma chèvre, elle va brouter un cercle, là !

Comme l'espace est dégagé et qu'il n'y a pas grand chose à craindre, le vendeur laisse monsieur Seguin faire des petits tours en rond avec la brouette pour en apprécier le maniement.

- J’pense que Mathilde dirait plutôt un disque, non ?
- Oui, ben peu importe, l’herbe, ben elle sera pas toute pareille à la même hauteur sur les 10 ares de mon champ, c’t’embêtant. Sans compter les 94,5596 centiares. J’ai tout noté avec l’huissier !
- Allez donc voir Mathilde, j’suis sûr qu’elle va vous trouver un moyen pour que la chèvre ne circule pas sur les champs du fils Raspinasse, mais qu’elle puisse circuler sur l’intégralité de votre champ. Et elle va même faire en sorte de vous faire payer le moins possible !

Monsieur Seguin, l'air encore plus renfrogné, s'est approché du comptoir, prêt à négocier.

- Bah oui, c’est que j’ai pas envie de m’retrouver au tribunal, mais j’ai pas envie non plus de me ruiner, moi ! Combien ça va encore me coûter, c’t’histoire, arrondi au cent près ? Et combien il va me rester de corde inutile, en centimètres ? (séparés par un tiret)